Andrée D - Urielle- Prologue
« Ça non, je n’ai pas
été une enfant désirée ! »
Urielle contemple les rebonds et plis de son ventre, partiellement recouverts
d’eau moussue. En fin de journée, rien ne détend autant ses jambes malmenées
par l’arthrose et ses pieds endoloris qu’un bain très, voire trop chaud
aromatisé de bulles parfumées et douces.
« Et donc, pas question de reproduire le schéma. »
Une respiration yogique fait pointer le nombril et dégouliner le savon en
congères gourmands. La peau a perdu de sa fermeté. Les dessins crémeux s’en
trouvent d’autant plus tortueux, inédits et réjouissants pour le regard avant
qu’ils ne s’effacent sous le reflux de l’eau tiède.
« Pas de « fruit de mes entrailles », beurk ! Une stérilité
réfléchie, engagée, promise somme toute sous la sauvegarde de mon statut de
« Sœur Marie-Angélique » au terme d’interminables années d’internat,
d’études et de noviciat. »
Le tout, habilement manœuvré par ses géniteurs, le plus loin possible du
domicile parental.
« C’est pour ton bien. Tu y auras une bonne éducation, que nous ne pouvons
pas te donner. Avec notre métier, tu comprends ? »
Non, elle ne comprenait pas et s’en contrefichait royalement. Au surplus, elle
n’avait jamais pu définir les contours de ladite activité professionnelle.
La vie au pensionnat puis monastique avait permis l’édification entre eux d’un
mur d’autant plus infranchissable que virtuel, bâti sur la réciprocité d’une indifférence
teintée de rancœur et sur l’imagination enfantine.
« Déjà, histoire de se venger de ma naissance, ils m’ont dit avoir hésité
à m’appeler Lucie. Lucie Ferre, ah, ah, ah ! Drôle, n’est-ce pas ? Le
regard du préposé à l’état civil a dû les dissuader. Ils se sont rattrapés avec
Urielle. Moins évident mais tout aussi tordu pour qui est amateur d’angéologie.
Je restais le porteur de lumière plein d’ambiguïté… mais – au fond- cela
m’ouvrait le champ des possibles. ».
Le comble avait été atteint avec « Marie-Angélique », fruit d’un clin
d’œil à l’ironie grinçante de l’attributaire et de l’innocente inattention de
la Mère Supérieure.
Dans la bouche des adolescents sous sa surveillance en salle d’étude, Sœur Marie-Angélique
n’a pas tardé à se muer en « Sœur Malik ».
« Bien sûr ces incultes décérébrés n’y ont pas vu malice, tout occupés à
zapper sur l’ancêtre de Tik-Tok, mais quand même … comment ne pas y voir
l’intervention arbitraire du Tout Puissant ? ».
Urielle se projette assez bien dans l’ange musulman, gardien de la porte des
Enfers lors du jugement dernier. Le mélange des cultures, la grande dispersion
de Babel, le poids des âmes, le choix des Elus, ce chaos fracassant de pensées,
de superstitions, fois et croyances… titillant, non ?
Elle rouvre le robinet d’eau chaude, déterminée à ne sortir de son Éden
aquatique que les doigts et orteils plissés. Elle se délecte du plaisir luxueux
et sensuel, longtemps tabou et sanctionné de l’opprobre jeté sur le péché.
Progressivement mais
depuis longtemps, la transgression l’a délivrée des interdits avec, hic et
nunc, la conscience aigüe de ce que sa liberté n’est plus cantonnée dans les
seules pensées prohibées mais s’épanouit, au bout de son chemin de vie, dans
une volupté assumée.
Et tout ça, pour une fois, grâce à ses parents qui ont eu le bon goût de mourir
ensemble dans un stupide accident routier. Intestats, sans autre héritier connu
qu’elle, l’enfant non désirée.
L’entretien avec le
Notaire, tout onctueux de componction lui avait dessillé le cerveau, laissant
entrevoir, dans une fulgurance jubilatoire la voie d’un renoncement à ses vœux religieux
sans douleur ni privation.
Pas de fin tragique à la « Sœur Sourire », voix claire et joyeuse
pour évoquer Dominique, sa haine des Albigeois et susciter l’ironie des
cyniques. Pas de suicide dans la solitude.
Le loisir de se défroquer dans une relative aisance.
Mais quand même … garder ses habits monastiques. On ne sait jamais, ça peut
servir.
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