La magicienne
Sur le seuil, une femme. Une jeune femme emmitouflée dans une parka. Sous son parapluie, un foulard fleuré et deux yeux menthe à l’eau. Emma ne peut détacher les yeux de ce regard qui raconte une histoire mais elle s’efforce de ne rien laisser paraître.
- Entrez madame ! Que puis-je pour vous ?
La dame balaie la pièce du regard.
- J’ai mis du temps à franchir la porte de votre atelier, je vous l’avoue. Depuis des jours, je me dis « Vas-y, mets ton orgueil de côté ! »
Emma ne comprend pas vraiment la teneur du message mais d’une voix chaleureuse, elle l’invite à se débarrasser et à s’asseoir.
- Vous avez fait le premier pas. Et si on faisait le deuxième ensemble ?
Un sourire triste traverse le miroir. Louis le capte discrètement.
- Racontez-moi votre problème. Je voudrais qu’en sortant d’ici, vous ayez le cœur léger.
Emma s’assied à ses côtés tandis qu’un long silence s’installe, un silence bruyant comme celui de son enfance qui ne présageait rien de bon.
- Vous allez comprendre. Regardez…
La jeune femme laisse lentement glisser son foulard.
- Les choses sont claires, n’est-ce pas ?
- Oui, je comprends, c’est difficile à accepter.
Des larmes silencieuses coulent le long du visage défait.
Silence. Long silence.
Puis, elle se confie.
- Si je vous disais que j’ai brisé le grand miroir que j’adorais, celui qui me venait de ma grand- mère. Il me renvoyait l’image d’une « presque morte ».
Louis redresse les sourcils. « Plaise au ciel que Madame ne se résolve point à un pareil acte ! »
Emma sait à l’instant qu’elle a un rôle important à jouer.
- A deux, nous allons faire des merveilles, je vous le promets !
La cliente fixe le miroir et se mord les lèvres pour ne pas pleurer.
- Vous êtes mon seul recours pour ne pas capituler ! Quand on dirige une crèche, qu’on met tous les atouts de son côté pour garder le cap et qu’un jour, le crabe frappe à la porte et vous dit froidement que vous n’avez pas bonne mine du tout, la vie s’arrête !
Louis acquiesce en lui renvoyant la vérité toute nue, celle qui atteint l’être au plus profond de lui-même. Même s’il se sent coupable, il est conçu pour jouer ce rôle, c’est ainsi.
Emma pose délicatement les mains sur les épaules de sa cliente. Le contact physique dit autant que les mots. Zoé se libère du poids qui l’étouffe.
- J’ai fait le bilan de ma vie. Je me suis dit : Zoé, tu es tombée dans le trou, tu ne peux pas tomber plus bas, mais tu as le choix. Y rester ou remonter. Je n’ai pas encore choisi.
Emue, Emma se sent en symbiose avec elle. Elle aussi a ses problèmes, mais que représentent-ils face à la maladie ? Rien. Absolument rien.
- Nous sommes deux, je vous l’ai dit. A deux, on peut déplacer des montagnes, aussi hautes soient-elles ! Fermez les yeux et faites-moi confiance !
Louis observe Emma du coin de l’oeil. « Madame trame quelque dessein sous le voile de ses pensées ! »
La modiste pose un tissu lumineux, souple et délicat sur la peau nue, le courbe, l’étire, l’entortille, le bouchonne et l’ajuste pour qu’il fasse corps avec la tête.
- Et voilà ! Il nous reste à demander l’avis de mon miroir fétiche qui ne ment jamais !
Hésitante, Zoé affronte Louis. Leurs regards se croisent, s’étudient, s’analysent. Une dissection au scalpel. Le résultat ne se fait pas attendre. Une femme neuve vient de naître sous les doigts d’une artiste qui ne croyait plus en elle. Sous son chapeau, elle est belle.
- Je ne me suis pas sentie aussi bien depuis longtemps ! Je revis ! Il a suffi d’une belle rencontre pour changer mon destin. Vous êtes une magicienne !
Dans l’oreille de la modiste, une petite voix souffle « Chapeau, ma fille ! »
Un rai de lumière pénètre le miroir et le renvoie à Emma.
Bonjour Colette,
RépondreSupprimerUn beau texte émouvant dans son apparente simplicité toute en tact et délicatesse. Pas évident à réussir comme ici !
Quelle belle idée que ce miroir Louis qui parle. Je craignais que ce "truc" ne s'émousse bien vite mais non, tu l'emploies bien à propos et avec économie. "Louis" est un personnage à part entière...
La cliente est-elle celle qui est annoncée dans le texte précédent ?
Pourquoi le miroir se sent-il coupable, il ne peut que refléter ce qui se présente devant lui ?
Merci pour cette fraîche poésie...
Bien à toi,
Jan.
RépondreSupprimerBonjour Colette,
Je te souhaite une bonne année 2025.
Ton texte est fort , je le trouve génial!
Chapeau Colette.
"Je vais gravir MON Everest" ( j'adore).
Pourquoi Emma n'élargit pas son public avec un tel talent?
Pourquoi Zoé ne ferait pas de pub pour relancer Emma auprès de son entourage? Emma est bien plus qu'une simple modiste si elle existe je veux la connaître.
" Un rai de lumière pénètre le miroir et le renvoie à Emma".
Le miroir est vivant et semble même soutenir Emma.
Te lire est vraiment un plaisir.
Merci.
Bien à toi.
Nadera
Bonjour Colette,
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la présentation de Zoé, toute simple, croquée en quelques mots, et on la voit.
Je me demandais : pourquoi ne pas arrêter le paragraphe (J'ai fait le bilan de ma vie.) juste après "choisi" mais au contraire, dire qu'elle n'a pas encore vraiment choisi. Et revenir au choix positif un peu plus loin dan le texte, après que Zoé se soit regardée dans le miroir.
Pourquoi Louis craindrait-il que Zoé lui fasse le même sort que celui qu'elle a fait au grand miroir de sa grand-mère ? Serait-ce la faille de Louis ? Il éprouve également de la culpabilité. C'est un "être" complexe.
La petite voix était bien au rendez-vous.
Emma est un personnage délicieux.
Merci pour ce texte plein d'humanité !
Gisèle
Bonjour Colette,
RépondreSupprimerUn texte émouvant. Sur un thème sombre au départ tu écris un texte lumineux qui met en évidence l’importance de l’empathie.
Chapeau( !) pour la manière dont tu as utilisé la consigne : en connivence avec Louis, c’est en aidant l’autre qu’Emma fait face à ses problèmes. En offrant à sa cliente une image de soi physique acceptable grâce à son habileté de modiste, Emma redresse sa propre image de soi psychologique.
Elle pensait « Tu te prenais pour quelqu’un, mais tu n’es personne, ma fille ! Personne ! »
Elle s’est prouvée qu’elle est quelqu’un, quelqu’un qui compte et qui est efficace.
Une jolie rencontre qui est en même temps une belle leçon de vie.
Et toujours ton écriture fluide et poétique.
Dans ton prochain texte, sous le signe du noir, Emme va entreprendre une recherche. Peut-être pour résoudre ses problèmes financiers.
Bon travail,
Liliane
Bonsoir Colette,
RépondreSupprimerVoilà un épisode plein d’humanité ! Emma relativise ses propres problèmes en écoutant ceux de sa cliente. Et le miroir, témoin de ces échanges, approuve l’attitude d’Emma.
Emma va bien entendu finaliser la coiffe de sa cliente et peut-être lui en créer d’autres assorties à ses tenues. Le début d’une collaboration ? D’une amitié ? Emma pourrait-elle participer au salon de la mode ? Ce qui lui permettrait de combler son découvert bancaire.
A toi de voir !
Cathy
Bonjour Colette,
RépondreSupprimerUn texte plein d'humanité, cette connivence qui s'installe entre deux femmes en plein désarroi. L'une touchée par la maladie, l'autre menacée de faillite, qui relativise et oublie ses propres problèmes pour rendre le moral à sa cliente. N'y réussit-elle pas un peu trop vite ? La souffrance de Zoé est profonde, elle ne peut pas s'envoler aussi rapidement. Montrer une esquisse de sourire sur son visage, en suggérant ainsi qu'elle peut se voir autrement qu'en personne malade mais qu'elle a encore du chemin à faire, me paraîtrait plus plausible.
Ceci n'enlève rien à l'attachement qu'on éprouve d'emblée pour tes deux personnages!
A bientôt piur la suite,
Marie-Claire