samedi 16 novembre 2024

                                                                               







 





MIROIR DE SOI 



                     

Le miroir ne ment jamais
Il t’invite à te voir tel que tu es
Mort ou vivant,

Au septième ciel

Ou au trente-sixième dessous.
Il te déshabille du regard,
Fait sauter ton masque

Et sans vergogne

Brise ton ego.
          

                             Colette

 

 

                                                                                      

                                                                                     



 

 

 

Flânerie

 

 

C’est un dimanche de février dans une petite ville de province, les rues se sont vidées, de gros nuages noirs crachent tous les chagrins du monde. Et ça mouille très fort.

C’est une gare engourdie par un froid piquant, la façade n’en peut plus de se rider comme une vieille peau. Et ça lézarde son corps, lui donne des airs de vieille dame abandonnée.   

C’est un quai cafardeux comme tous les quais de toutes les gares du monde, ça va, ça vient, ça pue le chien mouillé, les aisselles détrempées, la pisse de chat. Et ça donne la nausée.
C’est un train qui entre en gare. Et ça débarque et ça embarque des histoires de vie à n’en plus finir. 

Emma monte dans la dernière voiture, celle qui regarde l’envers du décor et suit le train-train. Avec son long manteau de laine écru, son petit bonnet rouge et ses hautes bottes fourrées, elle attire les regards, l’élégance lui colle à la peau. Et ça la rend désirable.

 

Elle a failli le rater, ce train de 17 h12. Tout l’après-midi, elle a flâné au marché des antiquaires, s’est attardée ici et là devant les couverts en argent, les lettres manuscrites, les baigneurs des années 1900, les missels aux pages dorées à la feuille d’or, les boites à musique où les ballerines en tutus tournoient à en avoir le tournis. Mais rien ne l’a accrochée vraiment jusqu’à cette petite échoppe qui regorgeait de vases en porcelaine, de bagues et de broches, de montres à gousset et de médailles. Un désordre bien ordonné où chaque chose se laissait désirer.

Derrière des nappes brodées, un miroir semblait l’observer. 

Elle s’est approchée et a senti un frisson la traverser. La météo n’y était pour rien. 

Le miroir avait ce petit quelque chose d’aristocratique et de raffiné, un visage piqueté de taches de rousseur, auréolé de volutes dorées et un corps aux courbes prononcées qui lui donnait l’allure d’un dandy. 

Les yeux dans les yeux, ils se sont regardés. Un moment suspendu dans le temps. Entreprenant, il lui a soufflé à l’oreille Vous avez, Madame, une grâce sans pareille !  Elle a rougi, a baissé les yeux puis a chuchoté Vous êtes un beau séducteur, vous !  

Le vendeur, habitué des coups de cœur, n’a rien perdu de la scène. 

-       Je vois que vous avez bon goût, ma petite dame ! Vous avez trouvé la perle rare !  

-       Peut-être. A combien me le faites-vous ?

-       Un objet baroque Louis XV d’une telle classe ne se brade pas, 

     mademoiselle ! 

Elle a ajusté son sourire et a osé :

-       Et pour moi, vous ne feriez pas un petit effort ?

-       Désolé, ça lui enlèverait toute sa valeur !

Vendeur dans l’âme, il a posé l’objet entre les mains de la jeune femme. 

Elle a senti des vibrations parcourir ses doigts, c’était un signe.

-       Vous lui avez tapé dans l’oeil, ça saute aux yeux ! Et je peux vous dire que je m’y connais en séduction ! Vous voyez la petite lumière qui clignote à gauche? Dans notre jargon, on appelle ça un clin d’œil, c’est très rare !

A l’autre bout de l’échoppe, un couple d’Anglais a interpellé le marchand. 

How much for this candlestick, please ? 

Laissant la jeune femme à sa réflexion, il a ajouté :

-       Je reviens à vous tout de suite ! 

Les mains d’Emma se sont affolées, ont tremblé sous le regard troublant du miroir. La vérité, c’est qu’elle avait le coup de foudre. Et quand le scorpion aime, il aime.  Même si ça lui coûte cher. 

Et si… Non, c’était insensé… Elle a entendu sa petite voix lui dire Emma, tu joues avec le feu ! Mais c’était ce miroir qui la mettait dans cet état, elle ne contrôlait plus rien ! Alors, d’un geste vif, elle a plongé l’objet dans son sac à main et a filé en douce.

 

Le train de 17 h12 ferme ses portes. Emma se laisse aller contre le dossier du siège. Son sac serré contre elle, elle se surprend à sourire. Le miroir aussi.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10 commentaires:

  1. Bonjour Colette,

    J’ose croire que toutes les petites gares de province ne sont pas de la même nature que celle que tu nous décris, ma foi fort bien.

    Qu’arrivera-t-il à la jolie Emma ? Elle a chapardé le petit miroir de ses rêves qui l’a fait frissonner de bonheur.

    Un beau prologue qui laisse entrevoir une belle aventure. Bravo.
    Cordialement, Christian

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  2. Bonjour Colette !
    Sombre dimanche (chanson de Juliette Gréco) !
    "Et ça" donne, outre une atmosphère démoralisante, un joli choc de détails, d'odeurs, de sensualité, d'images tellement parlantes et évidentes qu'on ne les remarque plus...
    Quelle élégance aussi dans la manière dont tout "ça" est amené, rythme, musicalité !
    Un premier paragraphe totalement captivant comme la suite d'ailleurs avec le vol surprenant !
    Crainte : Emma ne trouve aucun endroit satisfaisant pour le poser...
    Rêve : le contrôleur du train la drague car elle rayonne de bonheur...
    J'attends avec impatience le mystère que va nous dévoiler ce miroir parlant, diabolique et séduisant...
    A vite te lire,
    Bien à toi,
    Jan.

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  3. Bonjour Colette,
    Intéressante petite phrase de J Cocteau en exergue, merci ! Et texte intéressant.
    Tu as tellement bien "entendu" ce que Liliane disait : le miroir est un personnage à part entière. Tu ne pouvais mieux le personnifier : un beau séducteur. Emma perd le contrôle, elle est "victime" d'un coup de foudre.
    Sa crainte : justement, perdre le contrôle ! Jusqu'où cela peut-il la mener ? A des excès répréhensibles ? Est-ce que on capital sympathie s''en trouve encore amélioré ou est-ce que "ça", l'illusion, l'isole ? Encore plus, elle qui est célibataire ?
    Son rêve : rencontrer l'amour de sa vie.
    Dans la première partie, Emma est plongée dans le froid ; la phrase "Et ça la rend désirable" annonce le feu, juste après un passage à vide où rien ne rencontre son désir.
    Bien à toi,
    Gisèle

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  4. Bonsoir Colette,

    Assurément, je ne suis pas la seule à être happée par l'atmosphère que tes phrases créent avec peu de moyens mais avec une grande efficacité.
    Comme le souligne Gisèle, tu as trouvé l'astuce pour faire un miroir un véritable personnage qui prend d'emblée l'ascendant sur Emma puisque, aveuglée par la foudre, elle lui obéit sans réfléchir et joue aussitôt avec le feu en l'empochant.
    J'imagine que leur couple va durer. Le miroir (et l'image qu'il renvoie d'elle) va-t-il la pousser à d'autres crimes ? Jusqu'où est-elle prête à aller pour se sentir séduisante ?
    J'aurai plaisir bien sûr à découvrir toute la complexité du personnage d'Emma que ta plumeaur

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  5. que ta plume aura traduit. (J'y arrive !)

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  6. Bonjour Colette,
    Voilà un prologue qui nous plonge tout de suite dans l'intrigue ! On ressent bien l'ambiance, tout est palpable : dans la gare, le train, le marché aux puces avec ses différentes échoppes. Et puis soudain, c'est le coup de foudre, avec le miroir, avec elle -même ... Un Narcisse au féminin ? Le miroir est-il magique ? A-t-il des pouvoirs ? C'est ce qu'insinue le brocanteur. Son attitude, mettre le miroir dans les mains de ton héroïne et s'éloigner, est-elle délibérée ? C'est un professionnel, il doit repérer ce genre d'amateur...
    La crainte d'Emma : que son vol soit découvert. Est-ce la première fois qu'elle "vole à l'étalage" ?
    Son rêve : décorer sa maison avec ce qu'elle dérobe, s'installer comme brocanteuse/antiquaire et revendre les objets qui ne lui parlent plus...
    J'attends la suite avec impatience !
    Cathy

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  7. Bonjour Collette
    Voilà, j'étais de mauvaise humeur. Mais ton texte m'a rendu un petit sourire! Si, si!
    D'abord, j'aimes les images qui parlent, qui donnent des émotions. Comme cette vieille peau, cette vieille dame qui se lézarde! On est pas à la gare de Mons! Pardi! Et puis, il y a cette ambiance : quai cafardeux qui semble se noyer. Puis, un train arrive : ça bouge, ça file et défile. On s'y croit (quelle drache!). Et là, là, je la devine, l'Emma. Et les hautes bottes en sus...Bref, une éclaircie.
    S'ensuit LE personnage, le miroir. Ca sent vachement la drague, quand même, à tous les coins de rue! Mais c'est si doux; enfin pour l'instant! Ca pourrait être un souci quand même plus tard.
    Belle trouvaille, la "Petite Voix".
    Ma crainte? Ben , ça "peut même lui coûter cher"! C'est un vol. On ne peut pas faire ça, Madame! Et si on se fait prendre, hein ? La prison, à perpette? (Non, évidemment)
    Le rêve...: que les frissons se répètent, à perpette !
    Merci!

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  8. Bonjour Collette,
    C'est avec plaisir que je découvre ton style d'écriture , agréable à lire.
    Je ne m'attendait pas à cette fin, tu m'as surprise.
    Emma tu as osé voler! Ce miroir t'as observé, flatté même.
    Tu risques de ternir ton image et ton miroir réfléchi mieux que toi!
    Rêve: remonter le temps pour remettre le miroir à sa place.
    Crainte:
    rencontrer le vendeur.
    Beau texte.
    Merci.
    Nadera

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  9. Bonjour Colette,

    Qu’ajouter aux commentaires aussi enthousiastes que fouillés de tes lecteurs ? Un bonheur de lecture : l’élégance du style, la force et la beauté des images, et, déjà, l’intérêt du récit : un prologue qui se termine par un coup de théâtre. Tu amorces très habilement l’envoûtement par le miroir. On est scotché : feuilletoniste, tu ferais exploser les ventes de n’importe quel canard !
    Dans ton premier chapitre, sous le signe du gris, Emma aura un problème lié à l’argent.
    Bon travail,
    Liliane

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Bonjour, Qui peut me dire pourquoi la photo insérée dans l'ensemble de mon texte ne veut pas apparaitre dans mon copié-collé?  Comment f...