dimanche 19 janvier 2025

IIl y a quelqu'un?III

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`I IlIl y La pleine lune n’en finit pas de mettre tout sens dessus dessous. Des têtes nues jaillissent de chapeaux, s’enlacent, s’entrechoquent, rebondissent sur les murs, s’alignent au plafond puis s’écrasent au sol avant d’entamer une course endiablée dans le cœur de Bruxelles. Et ça claque sur les pavés de la Grand-Place. En tête du cortège, le père d’Emma. Il porte fièrement le turban de Zoé tandis que la petite voix d’Emma s’égosille : « Portez ! Adoptez ! Renaissez ! » 

 Emma bondit en dehors du lit. Elle est en sueur, vidée de toute énergie, elle a l’impression d’avoir couru deux marathons. La tête dans un étau, l’estomac à l'envers, elle fait l’impasse sur le petit déjeuner. Son corps dira non à tout tant que ses problèmes d’argent ne seront pas réglés. C’est ainsi depuis l’adolescence. Quand les mauvaises notes pleuvaient et que son père lui crachait ces phrases assassines "T’as vraiment un petit pois dans la tête !" elle n’avalait plus rien durant des jours.

Ces mots, elle a essayé de les rayer de sa mémoire, mais ils sont tatoués à jamais dans sa mémoire. On ne guérit pas de son passé, on apprend juste à vivre avec ses cicatrices, lui a susurré sa petite voix. Une petite voix, ça a toujours raison.

Elle traîne dans l’atelier, marche de long en large comme une petite fille perdue sans personne sur qui se reposer. Si sa mère était encore là…mais là-haut, les messages ne passent pas la barrière. Le comptable, lui, est aux abonnés absents. Ça n’étonne guère Emma. Georges joue toujours à l’autruche après avoir crié "Au feu ! "Les factures pleuvent, les fonds sont à sec, tout va très bien, Madame la marquise ! 

Elle s’affale sur le fauteuil face à Louis , incapable de regarder son reflet. Elle sait qu’elle a une mine de déterrée et des valises sous les yeux, d’ailleurs elle les bouclerait bien ses valises. 

-       Je n’ai plus qu’à balancer tout par la fenêtre, tissus, rubans, plumes, fleurs et chapeaux ! 

Louis réagit :

-       Que nenni, Madame !  Ce serait là un geste regrettable !

-       Au point où j’en suis, pourquoi pas faire un casse ? 

Il la mange des yeux, elle est encore plus belle quand elle se rebelle.

-       Madame, voilà un projet qui ne sied guère à la bienséance ! 

Fiez-vous à mon expérience, il est des rencontres qui bouleversent le cours d’une existence. 

Emma hausse les épaules. 

-       Et je vais la trouver où, cette perle rare ?

-       Il ne tient qu’à vous d’ouvrir les yeux, Madame !

 

Quelques jours plus tard, Zoé entre dans l’atelier avec une assurance nouvelle. Vêtue d’un manteau élégant assorti à son turban, on la croirait sortie d’un magazine de mode.  

-       Mademoiselle, je ne pouvais pas attendre plus longtemps pour vous raconter !

-       Asseyez-vous Zoé, vous m’intriguez ! 

-       Depuis que je porte ce turban, je ne suis plus la patiente du service oncologie, je suis Zoé tout court. 

-       Un bien joli nom ! 

-       Savez-vous que je fais un tabac dans le service ! Tout le monde veut savoir où j’ai déniché ce petit bijou. Même les infirmières en sont folles !

Le moral de Madame devrait retrouver sa splendeur !  pense Louis.

Emma voudrait se réjouir mais le mot FAILLITE défile sous ses yeux comme les sous-titres d’un film.

Zoé sort un petit carnet et le pose dans les mains de sa magicienne. 
         - Regardez, j’ai noté les références de celles qui veulent vous rencontrer. Elles voudraient des créations sur mesure, comme le mien !
Les yeux rivés sur la liste, la petite modiste sent une chaleur monter dans sa poitrine.

-       Cela me touche, Zoé !

-       Vous m’avez rendu mon identité. Ces femmes veulent ressentir la même chose.

Avant qu’Emma ne puisse se laisser emporter par l’idée, un bruit sec retentit à l’arrière de l’atelier. Toutes deux sursautent. Un courant d’air froid caresse sa nuque. Emma s’empare de ses grands ciseaux et avance prudemment vers le débarras.        

            -  Il y  a quelqu’un ?

Aucune réponse. 

Elle s’approche d’une étagère bancale où sont empilées des boites de plumes. Une des boites est éventrée sur le sol. 

 

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8 commentaires:

  1. Bonjour Colette,
    Un cauchemar puis une intrusion (?) dans un débarras mais aussi, et cela devrait réjouir Emma, le retour de zoé avec une liste de probables commandes.
    Mais comme le rappelle son pénible souvenir, "on ne guérit pas de son passé" ! Pourquoi Emma reste-t-elle à ce point fixée sur cette idée ? C'est pathologique ? Certes les parents étaient durs avec elle mais pourquoi "le petit pois" pèse-t-il tant sur sa mémoire ?
    Comme le suggérait Louis, dont le langage châtié est un régal, une solution pourrait venir d'une rencontre, par exemple d'un fournisseur qui lui veut du bien, ou un journaliste qui a eu vent du succès de Zoé...
    Il y a des gens qui se complaisent dans le malheur pour ne pas affronter l'inconnu ou une autre réalité. Le cas d'Emma ?
    La suite le confirmera ou l'infirmera, c'est à toi de décider...
    Bien à toi,
    Jan.

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  2. Bonjour Colette,
    Emma voit l'avenir en noir ; on a vraiment envie de l'aider à trouver des solutions alors qu'elle se sent si seule.
    Zoé pourrait lui annoncer que l'équipe médicale au grand complet (oncologues, infirmières, psy, assistante sociale, kiné) souhaite la rencontrer. Une collaboration rémunérée pour un petit horaire fixe qui n'amputerait pas trop son temps de travail comme indépendante, s'ajouterait aux interventions de l'esthéticienne, la prothésiste capillaire... Le but serait de booster le moral des malades et les aider à développer leur créativité. Emma jouerait un rôle d'ergothérapeute en aidant les malades à concevoir et fabriquer elles-mêmes des turbans. A plus ou moins court terme, elle pourrait engager à temps réduit parmi elles ou d'anciennes malades, les réintégrer dans le circuit du travail. De fil en aiguille, elle pourrait accompagner des malades dans un centre de convalescence ou de revalidation.
    Se faire connaître ainsi et vendre davantage.
    Mais voilà, il y a du suspense dans l'air : que se passe-t-il dans son atelier ?
    A ce propos, un peu bizarre ce courant d'air dans la nuque alors qu'Emma se dirige vers l'arrivée d'air avec ses ciseaux.
    Je mettrais cette phrase après Toutes deux sursautent. Un courant d'air froid caresse sa nuque. Emma s'empare de ses grands ciseaux...
    Impatiente de lire la suite.
    Gisèle

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  3. Un texte magnifique, Colette, qui oscille entre menace de faillite et souvenir traumatisant pour basculer vers une vraie éclaircie avec cet espoir apporté par Zoé : une clientèle inespérée qui pourrait la sauver. Et tu nous laisses devant un mystère qui me rend impatiente de connaitre la suite : que s'est-il passé dans la réserve ? Un intrus aurait-il emporté des étoffes coûteuses impossibles à racheter ? Qui aurait pu faire une chose pareille, ce n'est pas l'objet habituel des vols. Le fait qu'Emma se précipite avec ses grands ciseaux aura-t-il des conséquences ? J'ai hâte de lire la suite !
    Marie-Claire

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  4. Bonjour Colette
    Voici d'abord mes commentaires de ton texte 2 (ceux de ton texte 3 suivent juste après)
    Commentaires texte 2
    "Pour quelques voiles de plus" serait sans doute le titre que m'inspire ton texte. C'est plein de douceur dévoilée, enfin. Et à la fois, au de là de cette tendresse recherchée, on découvre un combat, pénible. Et beau. Parce que c'est un combat, justement. Il y a une richesse des sentiments, comme l'orgueil que tu mets en évidence. Et ce au travers du miroir, reflet de la vérité. D'une vérité. Celle de chacun. La force de chacun : "Faites moi confiance", redevenir "Belle", l'énergie déployée par la "Lumière".
    Pourquoi ne pas oser faire un intru dans la suite? Même peut-être un homme...ou plusieurs, avec évidemment cette même douceur voilée ?
    Merci, ton texte m' a donnée l'envie de connaître ces 2 femmes.
    Patrick

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  5. Commentaires texte 3 :
    Acte I :
    Ambiance endiablée, Bruxelles en effervescence: la pleine lune est bien là.
    Ensuite, dans cette ambiance, tu mets en lumière un point essentiel du comportement de l'héroïne: la "voix" (tiens, tiens...) du père qui tue. Alors, voilà, ces mots (pour le dire?) "sont tatoués à jamais dans sa mémoire". On vit à ce moment "la petite fille perdue".
    Acte II
    Louis , le sauveur. Dans le dialogue, "MADAME" est reconnue comme "adulte". Adieu la petite fille. Au travers du miroir des autres, ici, Zoé, l'assurance et l'élégance transforme indirectement la modeste modiste: de "failliste" elle devient "Waouw". Car c'est par le vêtement que ces femmes peuvent (re)trouver leur identité.
    C'est peut-être le moment , par le vêtement et la recherche de l'identité de nombreuses femmes, de crée run mouvement social. Une femme, sur un quai de gare, l'a fait, en Grande-Bretagne. "Harry Potter, vous vous souvenez?
    Très chouette
    Patrick

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  6. Bonjour Colette,
    Superbe texte .
    Belle description de son état physique et psychologique.
    Le miroir est bien utilisé avec finesse tout sonne juste. Est-ce que Zoé malade peut guérir Emma par rapport à son mal être?
    Qu'elle est la symbolique de la boîte éventrée? Une rencontre avec toutes ses clientes pourrait changer la vie de toutes ses femmes.
    J'aime l'idée du win / win.
    Bravo!
    Nadera

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  7. Bonjour Colette,

    Encore un bonheur de lecture. Un texte varié entre le cauchemar, les blessures d’enfance d’Emma dont elle ne guérit pas, ses soucis financiers et le dialogue avec Zoé. Tu exploites habilement les différents genres d’écriture pour le plus grand plaisir du lecteur. En outre tu ne lui laisses pas un instant de repos : à peine pousse-t-on un soupir de soulagement à l’idée que les problèmes d’Emma pourraient s’arranger que tu suscites une nouvelle inquiétude. Belle maîtrise du suspense sans compter la petite touche de paranormal qui saupoudre le tout avec discrétion, mais efficacité.

    Deux remarques précises.

    Emma bondit en dehors du lit, vidée de toute énergie. »
    On comprend bien qu’Emma se réveille en sursaut de son cauchemar, mais il me semble difficile de bondir du lit quand on est vidé de toute énergie. Elle ne peut le ressentir qu’après s’être levée. Peut-être marquer les étapes, genre :
    « Emma bondit du lit. Elle est en sueur, haletante, vidée de toute énergie. »

    J’aurais déjà dû y penser à propos de ton texte précédent : pourquoi ne pas continuer à appeler le miroir Louis XV, comme dans le premier chapitre ? Cela lui confère un prestige supplémentaire et modifie subtilement le rapport qu’Emma entretient avec lui.

    Dans ton prochain chapitre qui sera rouge, un souvenir ranimé par hasard va venir perturber les projets positifs d’Emma.
    Bon travail,
    Liliane

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  8. Bonsoir Colette,
    Que cette Emma est sympathique ! Pleine d'énergie malgré la pleine lune... elle ne se laisse pas abattre. On a envie qu'elle s'en sorte ... Zoé semble l'éclaircie qui va redynamiser son entreprise. Des commandes en perspective, voilà ce qu'elle attendait. Mais ce début de succès apporte aussi son lot de jalousie. Qui peut lui en vouloir au point de saboter ses fournitures ?
    J'attends la suite ...
    Cathy

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Bonjour, Qui peut me dire pourquoi la photo insérée dans l'ensemble de mon texte ne veut pas apparaitre dans mon copié-collé?  Comment f...